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Oui, il y a raison de s’inquiéter. Mais pas pour les raisons auxquelles vous pensez. L’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), qui publie les fameuses Listes Rouges d’espèces menacées, a indiqué en 2016 dans une mise à jour des statuts des raies et requins de Méditerranée que la situation de ces espèces ne s’est pas améliorée depuis 10 ans, et qu’elle est probablement la pire dans le monde. La Mer Méditerranée serait donc la mer la plus dangereuse du globe… pour les requins !
C’est précisément ce que vient illustrer l’étude de Stefano Moro et de ses collègues, publiée fin 2019 dans la revue Fish & Fisheries. Ils ont compilé toutes les données d’observation de requins blancs en Méditerranée, qu’elles soient scientifiques ou opportunistes, dans l’objectif d’identifier une tendance dans l’évolution de la population sur 156 ans (1860-2016). Ils ont également mesuré l’augmentation de la population littorale humaine sur la même période afin de prendre en compte cet élément (plus il y a de monde, plus il y a de chances de voir un animal). On y apprend au passage que la population côtière en Méditerranée a été multiplié par 6 depuis 1860 (184 millions d’habitants en 2016), avec de très grandes disparités : elle n’a fait que doubler en Corse quand elle a été multipliée par 320 dans la mer de Marmara !
Mais revenons à nos requins. D’après les modèles créés par les chercheurs, la population de requins blancs, après une phase d’augmentation, aurait chuté de 61 % entre 1975 et 2016. Dans certaines régions comme la mer de Marmara ou l’Adriatique, l’effondrement dépasse les 90 % !
Les auteurs ont également tenté de mettre en lumière l’évolution de la répartition de l’espèce dans le bassin méditerranéen. Ils ont ainsi remarqué que l’abondance de requins blancs avait fortement diminué dans les zones périphériques (les zones côtières) mais fortement augmenté dans les zones centrales. Se pourrait-il que les requins fuient les zones les plus influencées par l’Homme ? lls ne seraient pas les premiers…
Ces données sont bien sûr à prendre avec précaution car beaucoup d’incertitudes y sont associées. Cependant, nos connaissances sur les requins en Méditerranée, et en particulier sur les grandes espèces, sont tellement maigres qu’il est important de disposer de ce genre d’information pour tenter de faire bouger les lignes.
Requins et dauphins, de par leur position de super-prédateur, ont un rôle essentiel dans la bonne santé de nos écosystèmes méditerranéens dont dépendent des millions de gens pour se nourrir et pour vivre. Ils font face aux mêmes menaces. Nous avons autant besoin de l’un que de l’autre. Mettons la même conviction dans la protection de l’un comme de l’autre. Pour que nous continuions à répondre « oui » à votre question. Et pour que la réponse vous fasse plaisir.
Jérôme Couvat - 22 avril 2020
Réf : Moro, S., Jona‐Lasinio, G., Block, B., Micheli, F., De Leo, G., Serena, F., ... & Ferretti, F. (2020). Abundance and distribution of the white shark in the Mediterranean Sea. Fish and Fisheries, 21(2), 338-349.
Lien vers l’article (pdf en anglais) : https://www.researchgate.net/profile/Francesco_Ferretti4/publication/338210467_Abundance_and_distribution_of_the_white_shark_in_the_Mediterranean_Sea/links/5e80ff0a92851caef4ac9671/Abundance-and-distribution-of-the-white-shark-in-the-Mediterranean-Sea.pdf